
À l’aube de l’année 2025, le paysage juridique du droit de la construction connaît des évolutions significatives. Entre réformes législatives et décisions jurisprudentielles marquantes, les professionnels du secteur doivent s’adapter à un cadre normatif en constante mutation. Cet article propose un tour d’horizon des principales nouveautés qui façonneront la pratique du droit de la construction dans les mois à venir.
Les évolutions récentes de la responsabilité décennale
La responsabilité décennale demeure un pilier fondamental du droit de la construction. En 2025, plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont précisé son champ d’application. Notamment, l’arrêt du 15 janvier 2025 a élargi la notion d’impropriété à destination en intégrant désormais les défauts esthétiques majeurs affectant substantiellement l’usage du bien. Cette position marque un tournant par rapport à la jurisprudence antérieure qui distinguait plus strictement les désordres esthétiques des désordres fonctionnels.
Par ailleurs, le délai décennal fait l’objet d’une interprétation renouvelée. La chambre mixte de la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 mars 2025, a précisé les conditions de report du point de départ du délai en cas de réserves émises lors de la réception. Désormais, lorsque les réserves portent sur des éléments d’ouvrage distincts mais interconnectés fonctionnellement, la levée des réserves sur l’ensemble constitue le point de départ unique du délai, facilitant ainsi la gestion des contentieux pour les maîtres d’ouvrage.
Un aspect particulièrement novateur concerne l’application de la garantie décennale aux équipements de production d’énergie renouvelable. Suite à la multiplication des installations photovoltaïques et éoliennes domestiques, la jurisprudence a dû préciser le régime applicable à ces équipements. L’arrêt du 7 avril 2025 a définitivement tranché en faveur de leur inclusion dans le champ de la garantie décennale lorsqu’ils sont incorporés au bâti, même s’ils conservent une certaine autonomie fonctionnelle.
Le renforcement de la réglementation environnementale
La réglementation environnementale s’est considérablement durcie, avec des répercussions directes sur le contentieux de la construction. La RE2020, pleinement entrée en vigueur, génère désormais ses premiers contentieux significatifs. La jurisprudence administrative de 2025 a précisé les conditions dans lesquelles un permis de construire peut être annulé pour non-respect des objectifs de performance énergétique.
Dans son arrêt du 12 février 2025, le Conseil d’État a considéré que l’insuffisance manifeste des mesures prévues pour atteindre les seuils de performance énergétique constitue un motif valable d’annulation du permis, même postérieurement à l’achèvement des travaux. Cette position, particulièrement sévère, traduit l’importance croissante accordée aux enjeux environnementaux dans le contentieux de l’urbanisme.
Parallèlement, la responsabilité des constructeurs s’est étendue aux questions de biodiversité. Un arrêt remarqué de la cour d’appel de Lyon du 25 mars 2025 a reconnu la responsabilité solidaire d’un maître d’ouvrage et d’un architecte pour atteinte à un habitat protégé, malgré l’obtention préalable d’un permis de construire. Cette décision illustre la nécessité pour les professionnels de s’entourer d’experts en droit immobilier et de la construction capables d’anticiper ces nouvelles problématiques environnementales.
La question du réemploi des matériaux a également fait l’objet de clarifications jurisprudentielles importantes. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 mai 2025, a précisé le régime de responsabilité applicable aux désordres résultant de l’utilisation de matériaux recyclés. Elle a notamment établi une présomption simple de connaissance des risques à l’égard des professionnels utilisant ces matériaux, renforçant ainsi leur obligation de conseil et de vigilance.
L’impact du numérique sur les contentieux de la construction
La digitalisation du secteur de la construction transforme profondément la nature des contentieux. L’année 2025 marque l’émergence d’une jurisprudence spécifique aux maquettes numériques et aux contrats BIM (Building Information Modeling). La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 février 2025, a qualifié la maquette numérique d’élément contractuel à part entière, susceptible d’engager la responsabilité des parties en cas d’écart entre le modèle et la réalisation.
Cette décision majeure clarifie le statut juridique des documents numériques dans le processus de construction et renforce la nécessité d’une définition précise des niveaux de détail attendus à chaque phase du projet. Elle impose également aux professionnels une vigilance accrue quant à la qualité et à la cohérence des données intégrées au modèle numérique.
La signature électronique des documents de chantier fait également l’objet d’une jurisprudence en construction. Un arrêt de la Cour de cassation du 21 avril 2025 a validé la recevabilité des procès-verbaux de réception signés électroniquement, sous réserve du respect de certaines conditions techniques garantissant l’authenticité de la signature et l’intégrité du document. Cette évolution facilite considérablement la dématérialisation des procédures, tout en sécurisant juridiquement les échanges entre les parties.
Enfin, les contentieux liés aux dysfonctionnements des bâtiments intelligents commencent à émerger. La jurisprudence de 2025 tend à considérer les défaillances des systèmes domotiques comme relevant potentiellement de la garantie de bon fonctionnement, voire de la garantie décennale lorsqu’elles affectent significativement l’usage du bien. Cette position reflète l’intégration croissante des technologies numériques dans la conception même des bâtiments.
Les évolutions en matière d’assurance construction
Le domaine de l’assurance construction connaît des évolutions significatives en 2025. La jurisprudence récente a précisé les contours de l’obligation d’assurance dans plusieurs situations spécifiques. Notamment, l’arrêt de la troisième chambre civile du 11 mars 2025 a étendu l’obligation d’assurance dommages-ouvrage aux travaux de rénovation énergétique d’ampleur, même lorsqu’ils ne concernent pas les éléments structurels du bâtiment.
Cette position jurisprudentielle, qui s’inscrit dans la continuité des objectifs de la transition énergétique, renforce significativement la protection des maîtres d’ouvrage dans le cadre des opérations de rénovation thermique. Elle traduit également une volonté de sécurisation juridique de ces interventions, devenues centrales dans les politiques publiques de l’habitat.
Par ailleurs, les conditions d’application de la clause de déchéance ont été précisées par un arrêt important de la Cour de cassation du 5 juin 2025. La Haute juridiction a considérablement restreint la possibilité pour les assureurs d’invoquer cette clause en cas de déclaration tardive du sinistre, exigeant désormais la démonstration d’un préjudice effectif résultant directement de ce retard. Cette position, favorable aux assurés, s’inscrit dans un mouvement plus large de protection des maîtres d’ouvrage face aux pratiques parfois restrictives des compagnies d’assurance.
Enfin, la question de l’assurabilité des risques liés au changement climatique fait l’objet d’une attention particulière. Un arrêt du Conseil d’État du 28 avril 2025 a validé la légalité d’un décret imposant une couverture minimale des risques d’inondation et de sécheresse dans les contrats d’assurance construction, y compris dans les zones identifiées comme particulièrement vulnérables. Cette décision, qui répond à l’augmentation des sinistres liés aux événements climatiques extrêmes, aura des répercussions importantes sur le coût et les conditions des assurances construction dans les années à venir.
Les nouvelles tendances du contentieux contractuel
Le contentieux contractuel en matière de construction évolue également de manière significative. L’année 2025 est marquée par un renforcement des exigences relatives au devoir de conseil des professionnels. Dans un arrêt du 14 janvier 2025, la Cour de cassation a considérablement étendu la portée de cette obligation, en imposant aux constructeurs un devoir d’information spécifique sur les performances environnementales des matériaux et techniques proposés.
Cette jurisprudence novatrice s’inscrit dans une tendance plus large d’écologisation du droit des contrats. Elle impose aux professionnels une vigilance accrue quant aux caractéristiques environnementales des solutions qu’ils préconisent, sous peine d’engager leur responsabilité pour manquement à leur devoir de conseil.
Par ailleurs, les clauses limitatives de responsabilité font l’objet d’un contrôle juridictionnel renforcé. Un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 19 mars 2025 a invalidé une clause limitant la responsabilité d’un constructeur en cas de non-atteinte des performances énergétiques contractuellement prévues. Cette décision s’appuie sur la notion d’obligation essentielle du contrat, considérant que les engagements en matière de performance énergétique constituent désormais un élément déterminant du consentement du maître d’ouvrage.
Enfin, la question des retards de chantier liés aux pénuries de matériaux ou aux difficultés d’approvisionnement a généré une jurisprudence spécifique. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 mai 2025, a précisé les conditions dans lesquelles ces circonstances peuvent être constitutives d’un cas de force majeure exonératoire de responsabilité. Elle a notamment considéré que les difficultés prévisibles d’approvisionnement ne peuvent constituer un cas de force majeure, imposant ainsi aux professionnels une obligation d’anticipation renforcée dans la planification de leurs chantiers.
En conclusion, la jurisprudence 2025 en droit de la construction reflète les grandes transitions contemporaines : écologique, numérique et sociétale. Les professionnels du secteur doivent désormais intégrer ces évolutions dans leur pratique quotidienne, sous peine de voir leur responsabilité engagée dans des conditions parfois inédites. Cette complexification du cadre juridique renforce la nécessité d’un accompagnement juridique spécialisé à toutes les étapes des projets de construction.